
Laurent Sagalovitsch est né en 1967 et depuis sa tendre
enfance il n'aime personne. Quand il ne déblatère pas sur son blog, il écrit
aussi des romans que personne ne lit.
À chaque fois que Donald Trump prend la parole, on a
l'impression d'entendre la voix d'un prophète à qui Dieu aurait omis de léguer
un cerveau. D'où l'effet de sidération qui saisit le commun des mortels à
chacune de ses déclarations. Un être nous parle, mais ses dires sont si
extravagants et confus qu'ils ressemblent aux éructations brouillonnes d'un
pilier de bar, à l'heure de la fermeture de l'établissement. Personne n'y
comprend rien, mais tout le monde y prête attention vu le prestige du
personnage, ni plus ni moins, l'homme le plus puissant de la planète.
Trump ne pense pas le monde, il agit sur lui avec la
brusquerie de l'ignorant qui, ne sachant rien sur rien, se permet d'énoncer des
propositions en tout point contraires aux réalités du terrain. Il est à sa
manière une sorte d'idiot dostoïevskien: un être brut d'innocence, mais d'une
innocence cette fois non point naïve et directement liée à l'enfance comme dans
les romans de l'écrivain russe, mais plutôt expression d'une pensée née d'un
rapport altéré avec la réalité du monde.
Pour Trump, le monde en lui-même n'existe pas, il n'est
qu'un immense terrain de jeu où il entend agir comme un général qui, ignorant
tout des contingences où doit se livrer une bataille décisive, ne sachant même
pas à quoi peut bien ressembler son ennemi ni la configuration des forces en
présence, n'en décide pas moins d'entamer les hostilités avec l'opiniâtreté
propre à l'imbécile, c'est-à-dire sans calcul ni réflexion préalable.
Certains verront dans cette radicalité apparente la marque
du génie, d'autres du pragmatisme, là où il ne s'agit pourtant que de
bouffonneries, de coups d'éclats destinés à marquer l'opinion sans jamais se
traduire par un effet concret, si ce n'est d'occuper la une de l'actualité. À
chacune de ses gesticulations, la complexité du réel se rappelle à lui et si le
flux de ces vociférations ne se tarit jamais, en pratique, ses coups de semonce
sont destinés à demeurer la plupart du temps lettre morte.
Il en a été ainsi avec la Corée du Nord, il en sera de même
avec la bande de Gaza. Il y aura de l'esbrouffe, des déclarations
intempestives, des menaces, des injonctions, tout un grand délirium qui ne
débouchera sur rien de notable si ce n'est d'apporter de la confusion à une
situation qui n'en manque pas déjà.
Imaginer Gaza comme un nouveau Las Vegas, c'est non
seulement insulter la souffrance d'une population qui vient de connaître les
feux de l'enfer, c'est aussi conforter toute une partie de la société
israélienne dans son refus de penser l'avenir sous le prisme d'une nécessaire
et inévitable cohabitation avec le peuple palestinien. Une comédie des
apparences capable d'enflammer les imaginaires et de rajouter du chaos au
chaos.
On ne joue pas avec l'histoire des peuples comme on joue au
casino, dans cette vaine espérance de décrocher la timbale par le simple effet
de la chance ou de l'esbroufe. Pour arriver à ses fins, il faut de la patience,
de l'endurance, du courage, de l'abnégation, un certain sens de la diplomatie,
laquelle ne peut être une simple traduction du rapport de forces, sans quoi,
elle devient une arme au service de la guerre. De tout cela, Trump n'en a que
faire. Il entend résoudre les problèmes du monde comme on se débarrasse d'un
vieux meuble qui encombre le salon depuis des générations, à la hache et sans
aucune considération pour sa valeur sentimentale ou familiale.
Trump a l'engouement des bouffons qui se prennent pour des
prophètes. Leur égocentrisme, leur narcissisme sont tels qu'ils parviennent à
croire en l'expression de leur propre génie et finissent par considérer leurs
paroles comme des oracles inspirés de Dieu en personne. Leur insondable bêtise
les illumine de l'intérieur. Ils parlent fort, s'expriment à tort et à travers,
fanfaronnent comme des conquistadors amoureux de leur propre reflet.
Il n'y a rien à opposer à ces forçats qui frôlent sans cesse
avec la folie si ce n'est une détermination implacable. Les démocraties sont au
pied du mur. Soit elles trouvent en elles les forces nécessaires pour répondre
aux provocations du président américain, soit elles tergiversent et prennent le
risque de voir le populisme les engloutir. La comédie précède souvent la
tragédie. C'est vrai au théâtre comme dans les relations diplomatiques.
Puissions-nous nous en souvenir.